Par Stéphane Guicanti
Brrr… il fait froid ! même très froid selon les régions. Beaucoup jettent un regard presque rassuré sur leur plan d’eau favori en constatant qu’il n’est pas encore gelé. On se dit, « je pourrai encore y aller… » mais si la légendaire difficulté du virage hivernal n’est pas usurpée, elle n’en est pas moins insurmontable !
L’intérêt de la pêche en hiver
En plus du challenge de piquer une belle dans des conditions que chacun sait très difficiles, de poser pourquoi pas avec une belle commune dorée au milieu d’un paysage enneigé, je trouve à la pêche hivernale beaucoup de points positifs. Tout d’abord, il est évident que la pression de pêche va décroissante au fur et à mesure que les degrés chutent… c’est un fait certain ! voilà qui va permettre aux plus motivés d’entre nous de profiter de plus d’espace, de plus de calme donc d’une pression de pêche quasi-inexistante dans certains endroits normalement « blindés » de batteries à la belle saison.
D’autre part, le reste de la faune aquatique sombre dans une léthargie propice à nos méthodes. Toute cette blanchaille qui pillait vos amorçages sans vergogne, sans parler de ces rongeurs de bouillettes à moustaches, faisait preuve d’une activité que nous pouvons enfin oublier, tant elle est négligeable. Voilà qui va nous laisser toute latitude quant au choix de nos appâts. Tout ou presque pourra enfin être proposé à nos belles, sans avoir à s’inquiéter de leur état au fond de l’eau après une heure de pêche…
Au chapitre des points négatifs ? oui, il fait froid. Autre chose ? je peux ?
Effet des températures sur les poissons
Beaucoup de choses aussi ont été écrites au sujet des carpes et de leur alimentation. Les chiffres ont plu, pour agrémenter des statistiques établies et appuyer des études parfois un peu douteuses, certaines vraiment farfelues. Nous le savons, le temps de digestion des aliments est fonction de la température de l’eau. Cela commence, pour les conditions favorables de la belle saison, à quelques heures ( de 4 à 6) dans une eau à 20 degrés, pour voir ce temps s’allonger à plus de vingt heures lorsque l’on se rapproche du zéro. Le poisson en entier fonctionne au ralenti, vadrouille peu, et se nourrira donc très certainement dans le périmètre proche de sa zone de tenue.
Cela amène inévitablement à repenser le choix de nos armes en terme de nutrition et digestibilité. Les excès que nous nous permettons en cette période de fin d’année ne doivent concerner que nous. Une table trop bien garnie au fond de l’eau ne pardonnera pas, et nous conduira de façon quasi-certaine à l’échec.
Les sites
Comme cela est souvent écrit, l’essentiel de la réussite d’une pêche en eaux froides passe inéluctablement par un travail de localisation du poisson. Cela est si évident que cela me gène presque de l’écrire. Ce terme « localisation » revient probablement dans chaque article, c’est dire si de l’avis de tous, c’est une étape qui influe grandement sur nos résultats !
Tout le monde sait maintenant que lorsqu’elle évolue dans un milieu de quelques degrés seulement, la Carpe s’économise, limite ses déplacement. De ce fait, il devient évident de chercher à l’attraper là où elle se trouve, au lieu de tourner le bouton « chance et petit bonheur » au maximum dans ses réglages avant de commencer…
Puisque nous en sommes à énumérer les évidences, autant préciser qu’il sera judicieux de sélectionner un terrain de jeu où vous avez connaissance d’un cheptel certain afin d’optimiser les chances de rentabiliser ces sorties quelque peu difficiles par moment. Ce n’est à mon sens pas le moment de compliquer un pari déjà difficile en tentant sa chance dans un « no carp-land », ou de s’aventurer à tendre ses lignes dans un lieu dont on ne sait rien… quoique j’ai dans mes relations quelques têtus qui s’y attachent, et je ne peux que saluer leur goût du défi.
En fait, tout se retrouve, comme tout au long de l’année, dans notre pêche en terme de technique d’approche, mais elle se doit d’être effectué avec le maximum de soin : c’est « tout pareil, mais plus ! »
Les endroits à choisir
C’est bien là le nerf de la guerre, aspect du problème que je mettrai en avant, au risque de presque négliger les autres comme les appâts, par exemple.
Tout est à prendre en compte à cette époque, chaque information qui peut influer sur le comportement des poissons et leur zone de tenue doit être analysée et intégrée à votre réflexion : le vent s’il y en a, la topographie des fonds, la température dans les différentes couches d’eau si la profondeur est suffisante, voire des divers endroits du lac, si vous ne pêchez pas en rivière.
Je m’interdis d’établir ici la martingale infaillible, le raisonnement parfait qui permet de réussir immanquablement dans ces conditions ! je suis persuadé simplement qu’il y a des raisonnements que l’on se doit d’avoir, qui permettent de penser, réfléchir sa pêche, et par la-même, nous donner confiance en notre démarche.
Pour ma part, je prends toujours le soin d’analyser le vent. Par exemple, en cas de vent du nord soutenu et glacial , je ne vais pas m’obstiner à le suivre, comme cela se fait de façon un peu trop généraliste le reste de la saison. En effet, nous avons déjà affaire à une eau froide, donc saturée en oxygène, à l’inverse des eaux chaudes d’été qui en proposent beaucoup moins à nos poissons préférés. Par contre, un vent de sud, ou provenant d’un autre des points cardinaux, pourrait apporter quelques degrés supplémentaires très intéressants sur une berge, ou au fond de la baie dans laquelle il « pousse » l’eau.
En plus du vent, la topographie est également un élément-clé à prendre en compte. Chacun se doit de jouer du marqueur sondeur pour définir le type de fond sur lequel il va présenter ses montages. Il serait bénéfique, dans le même temps, d’y adjoindre un thermomètre qui permet de recueillir des informations capitales : un petit degré supplémentaire dans une fosse de 6 ou 7m ? nous pouvons être sûrs qu’un animal, à sang froid de surcroît, saura sentir cette différence infime pour nous, mais dont il ne manquera pas de profiter !
Pour rester dans le chapitre de la température, je me suis vu dans certains cas, et avec un réel succès, prendre le soin de choisir le poste qui semblait profiter du soleil le plus longtemps dans la journée, pensant que c’était logiquement l’endroit qui proposerait ce petit plus de confort aux Carpes. Si, en plus, celui-ci se trouve être une zone de faible profondeur, une bordure bien encombrée, pourquoi pas totalement à l’abri du vent, je ne pourrai m’empêcher d’y envoyer un montage ! raison ou pas ? tout du moins, une réflexion aura été faite, un poste choisi avec une certaine logique… Donc la satisfaction personnelle d’avoir essayé ce qui me semblait juste, pour ne pas avoir à repartir en me disant « j’aurai dû faire ci, ou essayer plutôt ça… »
Malheureusement, raisonner ne rime pas forcément avec dérouler…
Approche, amorçage
A ce sujet aussi, je pense que tout a été écrit, et tous se rejoignent à dire sensiblement les mêmes choses. Je ne partirai pas en guerre contre le reste de mes confrères, la plupart plus éminents les uns que les autres, et essayer de sortir du lot en affirmant le contraire… vu que je suis entièrement d’accord avec toutes les vérités que l’on nous ressert d’hiver en hiver…
Cela pourrait se résumer en trois mots : peu mais bien.
Gardons à l’esprit que notre poisson a un métabolisme ralenti qui se limite à son plus simple fonctionnement. La quantité d’appât qui va rejoindre le fond se doit donc d’être très limitée.
La meilleure chose à faire consiste à proposer peu, de façon à ne pas les gaver, mais à miser sur la qualité du point de vue attractif. Il va falloir les décider à ingérer de la nourriture, à une période où les boulimies estivales ne sont plus d’actualité, et qui plus est, est étrangère à ce qu’elle trouve naturellement. Pour donner un exemple parlant, lors de mes sorties hivernales et quand l’usage du bateau m’est permis, ma façon de procéder est la suivante : j’ouvre, avant de partir pour la dépose de ma ligne, une petite boîte de maïs doux, que je vide à moitié dans un petit seau. Je complète la moitié manquante avec un mélange de micro-pellets, de chènevis et de petits morceaux de bouillettes, si j’en utilise pour l’eschage, ou de tigers concassées, préparées la veille…c’est selon. Voilà qui je pense est assez parlant et donne une idée du volume d’amorçage maximum qui accompagne chacune de mes lignes.
Afin de d’optimiser tant que possible l’effet attractif recherché, il est de bon ton de renforcer le coté olfactif-gustatif de l’ensemble avec le ou les produits qui ont vos faveurs habituellement, qui ont une efficacité réelle et vérifiée. Vu le faible volume proposé, j’aime y rajouter quelques millilitres d’attractant, ou du sweetner à la goutte, dans lesquels sera dissout l’équivalent d’une pointe de couteau de Bétaïne. Il convient juste d’éviter d’utiliser des produits trop huileux, qui vont de suite figer dans l’eau, à moins de ne les choisir dans les références « spéciales eau froide » de certains fabricants.
Encore une fois, c’est spécialement dans ces conditions que l’utilisation du pva sous toutes ses formes trouve son intérêt. Personnellement, j’utilise régulièrement les « sticks » ou chaussettes, que je prends soin de choisir parmi les plus rapides en temps de fonte. Il est vrai qu’une eau froide ne facilite pas leur dissolution. Pour les remplir de grains de maïs doux et de toutes les graines que je souhaite utiliser, il suffit, une fois bien égouttées, de les sécher avec la farine de votre choix dans une grande bassine, puis de tamiser le tout pour les récupérer. J’utilise pour cela de l’amorce à carpes du commerce, ce qui a pour effet en plus de les parfumer. Là aussi, il est préférable de concocter sa préparation la veille, au chaud à la maison.
Comme vous le voyez, on mise tout sur l’effet instantané du mélange, que l’on veut très attractif. J’aime à m’imaginer le résultat de ce petit pot de particules déversées au dessus de mon bas de ligne juste avant de lâcher le fil, qui se déposent en pluie fine dans le même mètre carré que le montage. Aussi efficace qu’économique !
Appâts
Voici un autre aspect intéressant de la pêche en hiver. Puisque tout a été fait en amont pour optimiser l’attraction de l’amorçage, autant continuer dans cette logique. Nous le savons, nous allons être beaucoup moins ennuyés par nos chères brèmes et autres touble-fêtes… alors « feu ! » avec tout ce qui nous est presque interdit en d’autres circonstances : c’est le moment que j’affectionne le plus pour pêcher avec mes mini pop-up en 10mm, un tandem grain de maïs doux+ grain artificiel flottant, ou rouge, ou fluo…
C’est la période de l’année où je propose presque systématiquement les plus petites bouchées, les plus petits hameçons, les montages les plus soignés parmi ceux que je sais faire, les présentations les mieux équilibrées…
J’avoue m’amuser à regarder un bonhomme de neige composé d’une 14mm dense suivie d’une pop up de 10, si possible en 2 couleurs différentes, armé d’un hameçon fin de fer de taille 6 maxi !
J’aime également proposer une seule et unique tiger de bonne taille, mais écorchée sur toutes ces faces, montée en D-rig sur un petit haya en 8.
C’est le moment de panacher toutes sortes d’esches, de laisser libre recours à votre imagination : une présentation qui me satisfait en ce moment est la petite pop-up blanche surmontée d’un seul grain de maïs doux, ou d’une petite noix tigrée coupée.
Le visuel, donc, est un point à travailler en cette époque pour que notre cyprin cède à la tentation. Mais il est un autre atout que nous devons ajouter à notre jeu. Puisque presque tout repose sur un appât quasi-unique, autant tout mettre en œuvre pour qu’il soit localisé ! et c’est à ce moment que les sprays peuvent intervenir de façon significative. Je parle bien de sprays , car ceux-ci ne contiennent en général pas de produits huileux (ou si peu) comme les dips, ou booster. Leur composante principale est une forme d’alcool, qui aura plus grande facilité à se diffuser en eau froide. Ethylique, propylène glycol, acide butyrique… le choix est vaste, et maintenant toutes les marques ont leurs références qui ont fait leurs preuves…
Il est un dernier point que je voudrai aborder concernant l’esche : les parfums, ou arômes. Je constate qu’il y a ces dernier temps comme une course aux agrumes dès que l’on descend aux alentours de cette barre dite fatidique des 10 degrés dans l’eau. Il semblerait que les senteurs d’ananas, de pamplemousse et autres mandarines remportent la majorité des suffrages !
Je me remémore une époque pas si lointaine où il semblait hérétique de mettre autre chose que du carné l’hiver, vu que le fruité était imparable en été. On avait même trouvé un créneau annuel pour le scopex, entre les deux… heureusement, depuis ce temps, les choses ont évolué, et les esprits se sont ouverts. Alors oui pour une canne à l’ananas, mais ne serait-ce que pour comparer cette supériorité périodique que l’on veut bien lui attribuer à d’autre saveurs qui me réussissent tout aussi bien le reste de l’année. Un spray cerise ne quitte plus mon sac, à coté de l’abricot, et comme j’ai toujours eu un faible pour les épices, elles me le rendent bien et ce, même au plein cœur de l’hiver. Je compte prochainement mettre ce trio en compétition avec une nouvelle référence de calamar que j’ai dénichée à l’étranger et qui me semble des plus prometteuses ! alors, nous verrons qui l’emportera… m’est avis que le bon vieux maïs doux et la tiger viendront troubler un peu les statistiques !
Au chapitre des montages, rien de particulier à ajouter. La meilleure approche consisterait sûrement à commencer avec ceux qui vous satisfont d’habitude, quitte à les modifier un peu si vous le sentez nécessaire. Des runs sans suites, des décrochages trop nombreux peuvent vous amener à revoir leur longueur, leur raideur… mais de grâce, pas de place pour l’approximatif, ou « pas trop mal », ni le « presque bien », en ce qui concerne la qualité de ceux-ci, et les éléments qui les composent ! On ne peut pas se permettre, dans ces conditions difficiles où les bips ne vont pas dévorer les piles, de perdre un poisson pour un hameçon ré-affuté, un bout de fluorocarbone que l’on a senti un peu effiloché ou râpeux sous les doigts, ou encore un nœud qui semblait bizarrement fait…
Equipement
Enfin, il semble à mon humble avis important de ne pas passer sous silence un dernier point qui me semble capital pour faire de sa sortie hivernale une réussite : l’équipement du pêcheur. Bravo pour tout le soin et l’attention portés à nos chers poissons, mais n’oublions pas que pour pêcher efficacement, et avec plaisir surtout, il vaut mieux être paré pour faire face aux morsures cuisantes du froid. Il est impératif de se réserver un minimum de confort dans une pêche essentiellement statique, où le moral joue pour beaucoup sur le bon déroulement et la durée d’une partie de pêche. Tout d’abord, les vêtements. Point n’est besoin d’accumuler des superpositions de textiles pour se prémunir du froid. Trop d’épaisseur gène la mobilité, et n’est pas très confortable. Il vaut mieux s’attacher à deux chose : générer une certaine chaleur au niveau de l’épiderme, et se garantir de toute intrusion du froid par le vent, même léger. De nos jours, il est tout à fait possible de s’équiper convenablement à budget raisonnable. Pour ma part, en précisant que je réside en Haute Savoie, il me suffit d’un tee-shirt, sous une micro polaire, par-dessus laquelle j’enfile un bon gros pull, polaire ou pas, genre « camionneur ». le bas est couvert par un treillis épais et doublé que je me suis procuré au rayon chasse d’une grande chaîne nationale d’équipements sportifs, pour moins de 30 euros.
Le tout est complété par une veste pluie (donc étanche, y compris au vent) doublée, avec capuche. Souvenir de l’armée : les déperditions de chaleurs se font aux extrémités du corps ! soit… une paire de gants mitaines permettent assez de liberté des doigts pour refaire un montage mains au chaud, et un bonnet de la marque qu’il vous plaira ne sera peut être pas du plus bel effet pour les fashion-victim, mais saura apporter la dernière touche de confort pour se donner les moyens d’aller au bout de sa session.
Tout le monde s’accorde à dire que le Thermos qui vous garde le café au chaud est un allié de 1er choix, celui qui vous offre un de ces petits moments de bonheur quand vous regardez enfin votre ensemble pêchant, une tasse fumante entre les doigts… eh bien j’en emmène souvent un second, rempli celui-ci de bouillon ou de soupe, et qui revigore tout le bonhomme au moment du casse croûte de midi, ou pour bien aborder le début du couchant du soleil. Pas de mauvaises excuses, de l’eau bouillante versée sur un stick individuel du commerce et zou…l’affaire est prête.
Pour finir, j’engage chacun des pessimistes, des frileux, des résignés qui attendent que de toute façon, « les moulins sont graissés pour la saison prochaine, faut que ça sèche ! » à tenter le coup, ne serait-ce que pour retrouver une quiétude souvent perdue depuis l’essor grandissant de notre loisir, et qui sait… il y en a peut être un là-haut qui saura récompenser tant d’efforts et de passion, avec une belle d’hiver, le thon de saison…